Le Mois de la photo en Nièvre, série Cendrillon jette l’éponge, octobre 2017

Franziska Kutzick , Doctorante en lettres françaises, a souhaité participerau projet « Etre une femme en 2017 » en nous écrivant le texte « Fragments d’un monologue extérieur ».

Fragments d’un monologue extérieur

On dirait que la réponse à la question « ça signifie quoi pour toi être une femme en 2017 » serait facile quand on est une femme. C’est faux. Depuis que je me suis posée cette question, je stresse. J’observe minutieusement tout ce que je dis, tout ce que je fais et tout ce que je pense pour y découvrir du féminin. Je ne trouve rien qui me semble assez satisfaisant pour le partager avec vous. Ça m’énerve et me fatigue. Depuis que cette question résonne infiniment dans mon cerveau, je ne dors plus. Il y a des voix fortes dans ma tête qui me crient de vouloir faire partie de ce texte. J’essaie de les apaiser en écrivant une première ébauche. Quand je la relis, je remarque que ces voix évitent de répondre à la question. Elles parlent d’autres femmes et d’autres époques, de théories et de féminismes. Au lieu de perspectives surprenantes, des discours maintes fois répétés.

Dans cet état de frustration douloureuse, je demande de l’aide à Leslie Jamison qui a écrit un essai sur la « Grand Unified Theory of Female Pain » (dans The Empathy Exams, 2014). À la dernière page, elle cite Simone de Beauvoir et la fameuse phrase introductoire du premier tome du Deuxième sexe(1949) : « J’ai longtemps hésité à écrire un livre sur la femme. Le sujet est irritant, surtout pour les femmes ; et il n’est pas neuf. », et Jamison continue ainsi : « Sometimes I feel like I’m beating a dead wound. But I say : keep bleeding. Just write toward something beyond blood. » Ça me rassure et m’excite. En souffrant de la question de ce qu’est être une femme pour moi j’ai trouvé un signe transhistorique de féminité.

Je me remets immédiatement au travail pour fouiller l’ébauche abandonnée. Avant de quitter Leslie Jamison, j’emprunte encore la structure de son texte. Elle numérote les différentes blessures, douleurs et souffrances qu’elle décrit de Wound #1à Wound #10. J’adopte son système.

Voix #1

J’ai grandi dans une famille de femmes. Ça ne veut pas dire que les hommes n’étaient pas présents. Au contraire, il y en avait en abondance. J’ai 2 arrière-grands-pères, 3 grands-pères, 2 pères. Tous ces hommes qui partaient, venaient, restaient m’ont appris à avoir un cœur ouvert. Les femmes du côté maternel représentaient la constance. Elles menaient et mènent des vies à leurs volontés. Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir grandi dans une famille féministe sans que personne n’ait jamais prononcé ce mot.

Voix #2

Il y a quelques semaines j’ai vu sur Facebook la photo d’un slogan en streetart : « La vie est trop courte pour s’épiler la chatte. » J’ai cliqué « J’aime » parce que j’ai ri. Ce rire exprime à la fois la complicité triomphante avec l’artiste et l’embarras d’être prise au piège par la pression sociale qui dicte le degré de pilosité acceptée des corps humains.

Voix #3

Ce qui m’a beaucoup préoccupée pendant les mois derniers, c’étaient les mariages de quelques amies proches. Elles ont toutes reçu de belles bagues de fiançailles, elles ont toutes porté des robes blanches énormes et elles ont toutes été conduites à l’autel par leurs pères. D’abord, tout ça m’a profondément troublée. J’en ai parlé avec des copines (pas les mariées, je n’ai pas osé). La plupart d’entre elles comprenait mes troubles liés aux symboliques de soumission et de dépendance que je voyais incorporées dans mes amies-mariées. Ensuite elles ont recommencé à se raconter combien elles étaient émues quand la mariée est entrée main dans la main avec son père. J’envisage de céder devant toutes ces émotions véhiculées par les décors et les traditions.

Une autre copine à qui j’ai confessé mes soupçons m’a demandé si j’avais des problèmes avec les autorités masculines. Ensuite elle a proposé de contempler les noces traditionnelles comme un acte féministe puisque pendant toute la journée, la mariée et sa robe constituaient le centre de l’attention (note : surtout à ne pas confondre avec le centre d’attractions).

Voix #4

En mars 2017, Jessa Crispin publie un livre intitulé Why I am Not a Feminist. AFeminist Manifesto. La crise s’écrie dans le titre. Jessa Crispin proclame que leféminisme d’aujourd’hui est devenu un labelcapitaliste, imprégné de patriarcat et imprimé sur des t-shirts de H&M. Ce cri de Crispin m’ouvre les yeux : je vois désormais des accessoires féministes et des féminismes accessoires partout.

Voix #5

J*e souhaite que mes ami*es et tout le mon*de soi(en)t libres de vivre toutes les traditions qui l*es rendent heureus/x*es – et le*ur permettent d’agir de manière responsable. Pour que ça reste et devienne possible, il faut à jamais des personn*es prêt*es à révolter pour le*s faire virevolter.

Dossier de presse des expositions

Fragments d'un monologue extérieur (Franziska Kutzick)

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